La bouffe est devenue mon doudou magique

Nathalie Gathié (auteur)

Marion Fayolle (Illustratrice)

Les coulisses du reportage

« Journaliste depuis longtemps, j’ai il y a plusieurs années réalisé un reportage sur un hôpital qui accueillait des adolescents en surpoids dans le sud de la France. Leur mal-être, leur sensibilité m’avaient touchée et même un peu plus, ils m’avaient marquée. Alors pour DONg !, j’ai une nouvelle fois eu envie d’aborder ce sujet. Comment vit-on quand on a 13, 14 ou 15 ans et qu’on affiche plus de 100 kg sur la balance ? Comment assume-t-on le regard des autres ? Comment encaisse-t-on les moqueries, le harcèlement à l’école ? Quelles souffrances intimes conduisent à manger jusqu’à se gaver, jusqu’à vomir ? Quel manque affectif cherche-t-on à remplir, que cherche-t-on à fuir, de quoi a-t-on peur au point d’essayer de se rassurer en avalant toujours plus de nourriture ? Quels rapports a-t-on à ce corps qui entrave les mouvements, ce corps qui blesse à force d’être lourd et expose à des maladies de « vieux » ?

Toutes ces questions, j’ai souhaité les poser aux jeunes patients suivis à l’hôpital de Bullion dans les Yvelines. J’ai désiré relayer leur parole que pour vous, les « minces », les « normaux » portiez un autre regard sur eux, les obèses, les « pas pareils ». J’ai choisi cet hôpital parce que ceux qui y travaillent ont aimé la démarche de DONg !, dont je leur ai envoyé un exemplaire pour les convaincre de m’ouvrir leurs portes. Avant de rencontrer les ados, je me suis déplacée pour expliquer ma méthode de travail aux infirmières, aux éducateurs et aux médecins qui les aident à s’alimenter autrement et à se réconcilier avec eux-mêmes. J’ai souligné que mon intention consisterait à écouter les jeunes sans les juger, à rapporter leurs propos le plus justement possible et surtout pas à les exposer comme des bêtes de foire ou des animaux de cirque. Ils ont accepté de me recevoir trois jours à l’hôpital. Pour m’immerger dans le quotidien de l’établissement, j’ai dormi sur place.

Le soir où je suis arrivée, j’ai rencontré la quinzaine de « patients » pris en charge. Ils m’ont interrogée. Avaient besoin d’être rassurés. Quand je leur ai indiqué que le reportage ne serait pas assorti de photos mais d’illustrations respectueuses de leur anonymat, ils ont respiré. Personne n’allait les reconnaître. Quand j’ai ajouté que je modifierais leurs prénoms et qu’ils pourraient choisir des pseudonymes (noms d’emprunt), ils ont tous poussé un soupir de soulagement. Ils pourraient s’exprimer tranquillement, sans crainte d’être montrés du doigt. Ils pourraient évoquer leurs parents défaillants, absents ou violents. Ils pourraient pleurer et lâcher entre deux sanglots que leur problème, c’est un peu, et même beaucoup, le mal d’amour. Et puis, j’ai précisé que personne ne serait obligé de venir vers moi. Sur un sujet comme celui-là, un reportage, c’est du partage, de l’échange, de la confiance. Personne ne doit se sentir obligé. Le journaliste ne doit pas entrer dans la vie des gens par effraction car s’il le fait, il n’obtient rien de vrai. Rien d’authentique. Manifestement, mes arguments et DONg ! les ont convaincus. Ils m’ont beaucoup donné, ils vous ont beaucoup donné. Je ne les oublierai pas. »

 

À lire, à voir

 

Les petites reines, roman de Clémentine Beauvais, Ed Sarbacane, 2015

Max fait le poids, BD de Ange-Lise Lapied et Yrgane Ramon, Ed Tutti Kids, 2011

Moi en double, roman graphique de Navie et Audrey Lainé, Ed Delcourt/Encrages, 2018